Suivez-le guide. Sous la plume de David Commarmond, correspondant ArkéoTopia, découvrez les céréales au temps de l’Égypte pharaonique, visite guidée du musée du Louvre donnée par Alexandre Burtard pour l’association Passion Céréales en avril 2016.
LES CÉRÉALES AU TEMPS DE L’ÉGYPTE PHARAONIQUE
un tournant pour notre monde moderne
par David Commarmond
Extrait de l’ArkéoLog 87, avril 2016
Paris, le Louvre, l’Égypte antique, le Nil, Cléopâtre… Des noms qui prennent une résonance particulière quand on les associe, car dotés d’un puissant imaginaire qui nous renvoie à l’enfance, à nos cours de géographie, d’histoire, de sciences, à des visites dans les musées, à la découverte d’autres cultures et civilisations.
Tout les matins pourtant, au petit déjeuner, nous accomplissons machinalement un rituel qui nous renvoie à cette histoire, ces histoires. Le pain, les biscottes, les céréales avec du lait ou les biscuits, tous ces aliments nous le devons à 8.000 ans d’agriculture, d’évolution, de sélections de plants et d’essais d’agriculteurs en Mésopotamie dans le croissant fertile, en Égypte, en Grèce et dans bien d’autres pays. Le terme même de céréales est une référence à Cérès, déesse grecque de l’agriculture et de l’abondance.
Afin de nous rappeler toute cette dimension, l’association Passion Céréales [1] a invité le service presse d’ArkéoTopia à redécouvrir, au sein du Louvre, la genèse des céréales et l’importance qu’elles ont eue pendant les 3.000 ans de l’empire égyptien. L’Égypte antique, l’un des greniers du monde méditerranéen nous a laissé un patrimoine exceptionnel de témoignage de cette culture.
J’ai ainsi participé, sous la conduite d’Alexandre Burtard, historien de l’art et conférencier, à la visite guidée des collections égyptiennes du Louvre en suivant avec lui le parcours intitulé Aux origines des civilisations : les céréales dans l’Égypte antique.
C’est au travers des textes relevés dans les temples et les tombeaux des pharaons et des notables, textes déchiffrés grâce à Champollion, tout autant qu’aux travers des objets les plus usuels issus de tombes plus simples, que cette histoire à traversé le temps. Après des millénaires de silence, l’iconographie placée sur les murs s’est éclairée d’un hommage nouveau aux métiers de l’agriculture et à ses produits. Plus récemment, grâce à l’arrivée de scientifiques étudiant les graines et autres rejets alimentaires, c’est l’analyse des restes du petit peuple qui a permis de mieux mesurer les implications de l’agriculture sur l’organisation de la société égyptienne antique tant l’agriculture est au centre de tout, que ce soit dans la vie ou dans la mort.
Nous posons ainsi un autre regard sur ces fameuses céréales et les produits céréaliers qui en découlent tout en en découvrant parallèlement la dimension symbolique et sacrée.
Si tout un chacun sait que pour les égyptiens, le monde était régi par de nombreux dieux faisant l’objet de divers cultes, Osiris est particulièrement présent. Il aurait créé les céréales pour les hommes. Des milliers d’ex-voto, moules en forme de figurine d’Osiris, emplis de limon et de grains d’orge, étaient déposés dans les tombes. Arrosés, ils germaient en quelques jours et devenaient symboles d’immortalité.
Nous découvrons également que les céréales déposées comme offrandes dans les temples étaient ensuite consommées par la population.
Grâce aux représentations iconographique des céréales et des produits céréaliers, nous découvrons la gastronomie des anciens égyptiens et son évolution au cours des siècles. Mais nous comprenons mieux également l’apparition de la fonction de Pharaon, la hiérarchisation de la société égyptienne et la spécialisation des métiers. La sédentarisation oblige en effet à une gestion des productions notamment périssables. La société s’organise et se complexifie. Le paysan cultive un sol défini et attribué par la communauté. Il a pour charge de nourrir la population. Dans ce processus social, la prise en main et la conservation/distribution des productions céréalières sont des facteurs majeurs de l’émergence des pouvoirs et des civilisations.
Cette évolution permet également de mieux comprendre la conquête du Nil, véritable colonne vertébrale de l’Égypte de l’antiquité, corridor de 6.500 km au milieu du désert. Hérodote n’écrivait-il pas déjà en 445 av. J.-C. : l’Égypte « est un don du Nil » (Histoires, livre II, chap. X). Le Nil ! Ce fleuve traversant le pays du sud au nord est l’artère vitale de ce pays. Il fournit : eau, limons, poissons. Au rythme des crues puis des décrues, le Nil laissait les champs recouverts d’une terre riche, grasse et molle dans laquelle les agriculteurs pratiquaient rapidement les semailles. Après les quatre mois d’inondation, la remise en exploitation des terres est pour les égyptiens une image du cycle de résurrection. Les grandes festivités du mois de Khoiak célèbrent ainsi l’apport de la couche fertile limoneuse indispensable à toute vie agricole et le retour à la vie du dieu Osiris.
Dans ses Histoires, Hérodote notait aussi à l’époque son étonnement face à l’absence de labour préalable à l’ensemencement :
Cette technique déroutait l’auteur grec qui gardait en mémoire la difficulté des labours avant semailles dans les cultures classiques du sud de l’Europe. Si cette première étape était simplifiée, l’exploitation des céréales restait toute de même une tâche ardue.
Nous poursuivons notre chemin au sein des collections et du thème décrypté. Si les céréales composent la base de l’alimentation égyptienne pendant toute l’histoire de cette civilisation, c’est l’orge, au Proche-Orient, qui semble être la première et la plus importante céréale cultivée. Du moins, pouvons-nous le penser à partir des nombreux échantillons de graines miraculeusement parvenues jusqu’à nous. Bien évidemment, cela ne nous garantit pas que toutes les espèces nous soient bien parvenues. D’une part l’évolution a continué son travail, d’autre part les variétés se sont enrichies au cours des siècles, soit au contact d’autres civilisations, soit par les croisements pratiqués plus ou moins volontairement par les ancêtres de nos agronomes. Néanmoins, l’amidonnier, arrivé en Égypte dès le Ve millénaire av. J.-C. après une domestication au Levant 3.000 ans plus tôt, reste toutefois la variété de référence pour le blé.
À partir de l’exploitation de ces céréales, le pain et la bière ont permis de définir une nourriture de base. Les textes racontent qu’une table fournie doit comprendre « du pain, de la bière, du bœuf et de la volaille par milliers ».
Si nous partageons donc des traits culturels communs, l’aspect des pains était toutefois très différent de nos baguettes et pains modernes. Sans levure chimique et en l’absence de blé dur, les pains étaient denses. Ils conservaient également souvent en leur cœur des grains entiers, caractéristique qui aide aujourd’hui les archéologues à en comprendre la nature. Le pain comme la bière sont issus de céréales dont la fermentation a d’abord dû être comprise pour être maîtrisée. Leur production en était à ce prix. Si pour la bière, la fermentation devait être contrôlée et orientée, pour le pain, elle devait être arrêtée. Dans ce dernier cas, la cuisson des bouillies de céréales permettait d’assurer la conservation du pain sans risque de poursuite de fermentation.
C’est ainsi que la maîtrise des cuissons a permis l’émergence d’un nouveau métier : le boulanger. L’importance de celui-ci est rapidement consacrée dans l’iconographie par sa représentation récurrente. Si les premiers fours sont portatifs, le dispositif se perfectionne petit à petit. Grâce à l’analyse des peintures et des reliefs, les iconologues nous font découvrir l’évolution de ce métier tant dans sa recherche technique (moyens pour se protéger des flammes, outils pour assurer une meilleure maîtrise du feu et de la chaleur du four) que gastronomique (association de fruits comme figues et dattes au pain conduisant à l’émergence de pâtisseries et de goûts nouveaux). Grâce au désert qui a permis une conservation exceptionnelle, les archéologues ont mis au jour des pains vieux de plusieurs millénaires dont quelques spécimens sont exposés au musée du Louvre.
Les hiéroglyphes montrent des pains moulés ou simplement levés, cuits directement sur la pierre. Toutes les recettes ne nous sont pas parvenues, mais nous savons que les variétés de pains et gâteaux n’avaient que peu à envier à la diversité des vitrines de nos boulangeries contemporaines !
Outre l’alimentation, la pharmacopée égyptienne recèle bien des surprises. Ainsi les propriétés antiseptiques de certaines céréales ou de végétaux étaient-elle clairement connues dans l’Égypte antique. Les médecins possédaient même une réputation de compétences dépassant leurs frontières. C’est ainsi que le papyrus médical de Berlin (n° 199, verso, 2, 2-5) nous apprend qu’afin de déterminer si une femme était prégnante et le sexe de l’enfant à venir, la femme devait effectuer le « test des deux graines » : une de blé amidonnier et une d’orge. En urinant chaque jour sur ces deux graines, la pousse de ces dernières permettait de déterminer si elle enfanterait. De même, l’ordre de germination lui permettait de savoir s’il s’agirait d’une fille (blé amidonnier) ou d’un garçon (orge). Le médecin Ange-Pierre Leca précise que ce test diagnostic est à rapprocher de tests modernes basés sur l’augmentation de la folliculine dans les urines de la femme enceinte en donnant un taux de réussite de 70 %. Il souligne cependant ne pas comprendre ce qui justifie la possibilité de connaître le sexe de l’enfant.
En terminant notre visite, nous prenons mieux la mesure de l’importance des céréales dans la vie quotidienne des anciens égyptiens. Les riches mobiliers des pratiques funéraires et les parois ornées offrent une fenêtre incomparable sur le quotidien des vivants dans leurs activités céréalières, non seulement la mise en culture, mais aussi la moisson, le vannage, le glanage, la cuisson et la consommation. Même si techniquement les opérations de transformation n’étaient pas optimales, le savoir-faire mis en œuvre démontrait des capacités d’observation et un embryon de connaissances scientifiques impressionnant.
Passion Céréales – www.passioncereales.fr
Lancée en juin 2006, Passion Céréales est une association loi 1901, créée à l’initiative de l’interprofession céréalière, Intercéréales, qui rassemble les producteurs de céréales, les coopératives, les négociants, les meuniers, les malteurs, les amidonniers, les semouliers, les exportateurs ainsi que les acteurs de la nutrition animale. L’association constitue une interface d’information entre les acteurs du monde céréalier, le monde scientifique et la société ; sa mission est de faire connaître au grand public les céréales et les produits qui en sont issus (alimentaires et non-alimentaires).
Bibliographie
Alexandre Burtard Visite dans les collections égyptiennes du musée du Louvre, site web de Passion Céréales.
Ange-Pierre Leca, La Médecine égyptienne au temps des Pharaons, Paris : R. Dacosta, 1971.
Amandine Marshall, « Égypte ancienne. De l’efficacité des tests de grossesse », Archéologia 538, p. 62-65.