L’encyclopédie collaborative des objets archéologiques, Artefacts a vu le jour grâce au travail de Michel Feugère, archéologue au laboratoire lyonnais Archéologie et Archéométrie. Aujourd’hui, ArkéoTopia s’investit pour faire découvrir cet outil au grand public.
Michel Feugère : « Artefacts, c’est comme une maison où chacun apporterait une pierre »
Vous cherchez l’origine d’un type d’objet, où on peut le trouver, ou tout simplement une statuette d’un personnage antique qui vous intéresse ? C’est possible grâce à Artefacts. Cette encyclopédie collaborative des objets est accessible à tous en ligne et elle est en perpétuelle évolution grâce aux conservateurs de musées, aux archéologues et étudiants qui y contribuent. Pensée il y a une trentaine d’années, elle recense maintenant environ 181 309 objets. Michel Feugère, archéologue au laboratoire lyonnais Archéologie et Archéométrie (UMR 5138) en est le fondateur. Aujourd’hui, avec la participation d’ArkéoTopia, il présente cet outil au grand public. Rencontre.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre laboratoire ?
Michel Feugère (MF) : J’ai fait des études de lettres, d’histoire de l’art et d’archéologie à Lyon puis à Aix-en-Provence. Je suis entré au CNRS en 1982 et j’y suis toujours. Je suis dans le laboratoire Archéologie et Archéométrie qui a la spécificité d’être un laboratoire de Sciences humaines et sociales, mais pratiquant à la fois l’archéologie et les sciences physico-chimiques, pour les analyses de céramiques. C’est pour cela qu’on s’appelle Archéologie et Archéométrie car nous sommes les héritiers d’un laboratoire de sciences physico-chimiques qui a été créé pour faire de la céramologie en France et qui s’est ensuite élargi. On s’occupe toujours d’analyses de céramiques, c’est une part très importante du laboratoire. Le laboratoire est aussi une des très rares plateformes en France faisant des analyses au carbone 14 (14C). En archéologie, on a principalement des équipes d’archéologie médiévale et deux autres qui s’occupent des mobiliers archéologiques, d’une part de la céramique et d’autre part d’autres objets.
Comment est venu votre intérêt pour les objets ?
MF : C’est un peu le hasard des rencontres. Quand je faisais mes études à Lyon, j’ai eu comme professeur une chercheuse du CNRS qui était spécialisée dans les bronzes antiques et je voulais travailler là-dessus. Cela répond aussi à des besoins par rapport aux fouilles archéologiques. La discipline a besoin de chercheurs qui s’occupent de toutes les catégories de mobiliers.
Est-ce cela qui vous a amené à créer le projet Artefacts ?
MF : Artefacts est un très vieux projet qui remonte aux années 90, il a pratiquement une trentaine d’années. Il est né dans le cadre des fouilles de Lattes (34). Nous avons monté un chantier école qui était chargé de mettre au point des méthodes archéologiques. Une de ces méthodes était un programme ambitieux de documentation des fouilles qui a profité de l’arrivée des ordinateurs et d’Internet. Pour ce projet de documentation de données de fouilles, il a fallu mettre en place des outils typologiques sur la céramique, sur les monnaies, les objets. Je me suis occupé des deux derniers champs. L’outil sur les objets a été mis en ligne en 2008 et c’est devenu un projet indépendant que je gère aujourd’hui à Lyon.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est Artefacts ?
MF : C’est une encyclopédie. Le système de classement n’est pas orienté vers une région ou une période particulière. Nous avons vocation à couvrir tout ce que les gens veulent pouvoir y mettre. Si quelqu’un travaille sur l’Iran du 2e millénaire, vous pourrez retrouver des objets de l’Iran du 2e millénaire puisque l’outil le permet. C’est un outil de classement et d’analyse.
Pourquoi ce nom ?
MF : Il fallait trouver un nom court pour Internet. Un artefact, c’est un outil fabriqué par l’homme avec une technique. C’est en fait la définition des objets.
Cela répondait à un vrai besoin de répertorier les petits objets ?
MF : Que ce soit les monnaies, les céramiques et les autres types de mobiliers, il faut avoir des bases de référence. Les objets, on ne dit plus d’ailleurs les petits objets car certains font deux mètres de long, c’est spécifique. Beaucoup d’ateliers spécialisés ont conçu des types très particuliers qui vont être diffusés dans toute l’Europe. Donc pour l’archéologie, si on se base sur un schéma régional ou national on a du mal à comprendre. Par nécessité, il fallait un programme ambitieux capable de couvrir de vastes régions et d’être international. En mutualisant des connaissances de spécialistes très dispersés ayant chacun leur approche de part leur expérience de fouille, leur culture et leur formation, nous pouvons avoir une bien meilleure connaissance du matériel que par des publications séparées. De plus, l’outil de cartographie permet de traiter de grandes masses données ce qui est également un besoin pour étudier les répartitions des matériaux, des types, des décors, etc. Artefacts est aujourd’hui parfaitement en phase avec les besoins du Big Data. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place cet outil. Évidemment, cela s’est fait progressivement sur 30 ans.
Certaines périodes sont-elles moins représentées que d’autres sur Artefacts ?
MF : Oui, car Artefacts ne progresse que grâce aux contributeurs qui y participent. C’est pourquoi, pendant longtemps, nous n’avions absolument rien en médiéval ou en moderne. Maintenant que nous avons des gens qui travaillent dessus, cela progresse de façon indépendante. Pour l’âge du Bronze, on tient la route. Pour les âges du Fer, c’est bien entamé, mais c’est encore perfectible. Pour l’Époque romaine, nous sommes relativement complet grâce à des chercheurs étrangers qui contribuent à Artefacts. Pour le haut Moyen-âge, c’est toujours difficile car nous manquons de personnes qui s’investissent. Pour le Moyen-âge et l’époque moderne, nous commençons à être d’un assez bon niveau. Ça change vite et le fonctionnement est cumulatif. Artefacts, c’est comme une maison où chacun apporterait une pierre.
Tout le monde peut-il participer ?
MF : C’est difficile pour les amateurs de trouver une porte d’entrée. Il faudrait tout valider. Notre but, c’est de construire l’outil de référence avec des professionnels ou des doctorants qui ont une certaine autonomie. Par contre, une grande partie des données est en accès libre pour que les gens qui cherchent une image de Mercure ou de Hadès puissent la trouver. Nous sommes en grande partie financés par des recherches publiques donc nous sommes très volontaires pour montrer ce que nous faisons. En revanche, travailler avec le grand public, c’est assez spécifique.
Quelle est l’implication de ArkéoTopia dans le programme ?
MF : ArkéoTopia fait justement le lien avec le grand public. On fait des enquêtes sur les retours des utilisateurs qui ne sont pas archéologues quand ils vont sur le site. Quelles sont les choses qui les intéressent, sur quoi ils vont en priorité, sur quoi ils butent. Cela nous a permis de faire des modifications dans la présentation du site pour répondre à ces demandes. ArkéoTopia participe également à l’ajout de données et à des tests pour des utilisateurs archéologues.
Qui utilise Artefacts ?
MF : Les statistiques dont nous disposons sont anciennes, mais nous avons environ 350 accès par jour, la moitié en France et l’autre dans différents pays, Allemagne, États-Unis, etc. Il faudrait qu’on travaille dessus, mais nos moyens ne nous permettent pas d’y consacrer du temps pour le moment.
Avez-vous des projets de développement pour Artefacts ?
MF : On est toujours en train de se développer. L’an dernier, on a finalisé deux projets d’exploitation des données. Il y a un logiciel qui permet de visualiser des courbes chronologiques de datation des objets. Les archéologues produisent beaucoup de données et on voulait les utiliser pour donner en temps réel la courbe chronologique d’un type d’objet. On vient de finaliser un projet d’épigraphie qui est axé sur les inscriptions qu’on trouve sur les objets. Cela va déboucher sur des publications mais là on a commencé par faire l’outil. Il faut souvent faire de l’informatique avant de faire de l’archéologie et la gestion de la documentation concerne tout autant la science du passé que l’ingénierie moderne.
Entretien réalisé par Lucie Puyjalinet d’ArkéoTopia en novembre 2020.
Pour en savoir plus
- artefacts.mom.fr pour accéder à Artefacts l’encyclopédie en ligne des objets
- lefildarar.hypotheses.org pour accéder au blog du laboratoire Archéologie et Archéométrie
- arar.mom.fr pour accéder au site officiel du laboratoire Archéologie et Archéométrie
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