L’aménagement des rythmes éducatifs ou scolaires ne cesse de défrayer la chronique. Il est vrai qu’il est difficile pour les parents autant que pour le personnel enseignant de s’y retrouver dans les informations relayées par les médias. Cet article est une réaction au dossier « Rythmes scolaires, et si ça marchait ? » du n°3341 de Télérama du 22 janvier 2014.
L’aménagement des rythmes éducatifs (ARE), un temps d’apprentissage différent de l’école
Dans un des articles du dossier de Télérama, Marc Belpois écrit :
[Les instits] de l’école élémentaire [ont raison de s’insurger] quand, en fin de journée, une initiation au chinois épuise des enfants censés reposer leurs neurones
Quelle erreur de jugement quant à cette fin de phrase ! Pourtant Marc Belpois mentionne bien en début de dossier que le réaménagement du temps scolaire a vocation à mieux répartir le temps d’apprentissage académique pour faciliter l’apprentissage des enfants. Le temps libéré de 3 heures n’a donc pas vocation à être du temps de repos ou de garderie, mais bien un temps différent où les enfants peuvent avoir accès à des activités artistiques, culturelles et sportives abordées de façon différente qu’à l’école.
Julia Schelling, animatrice scientifique d’ArkéoTopia, en activité sur l’orfèvrerie égyptienne à l’école Corbon, Paris 15ème. © ArkéoTopia – Beauchef G., 2014 |
Le terme culturel étant large, rappelons que sa réalité regroupe autant la culture scientifique que la culture technique, littéraire, artistique, etc. C’est pourquoi, au sein d’ArkéoTopia, nous avons proposé une animation scientifique. Or, qui dit animation scientifique dit réflexion. Loin du simple jeu et de la découverte par une histoire, nous faisons intervenir activement les enfants et nous sollicitons donc leur cerveau. Aucune animation scientifique digne de ce nom ne peut prétendre à reposer les méninges des enfants. L’animateur, le médiateur ou l’organisme qui dirait ou écrirait l’inverse aurait des questions à se poser sur la qualité de son animation dite scientifique. Bien entendu, nous parlons de réflexion à la mesure des enfants et non de “bourrage de crâne” ou de compétition pour une course aux résultats.
Un autre vision de l’Aménagement des Rythmes Éducatifs
Cette vision d’un apprentissage différent et non d’un temps de repos, ArkéoTopia n’est pas le seul partenaire de la Mairie de Paris à l’avoir. Nombreux sont les autres partenaires associatifs à s’être fait l’écho de cette vision lors de la réunion d’information des associations partenaires de l’ARE pour la Mairie de Paris le 7 février 2014. Cette année, ce sont 550 associations qui animent 5000 ateliers chaque semaine.
Cette vision est également celle de la Mairie de Paris ainsi qu’en atteste le Projet Éducatif Territorial (PEDT) de Paris et les thématiques des ateliers de l’ARE. Signé par le Rectorat, la Ville, la Préfecture et la Caisse d’Allocations Familiales de Paris, le PEDT porte sur cinq objectifs :
- Contribuer à la réussite éducative et à l’épanouissement de chaque jeune parisien
- Favoriser la socialisation et l’acquisition de l’autonomie
- Promouvoir l’égalité des droits
- Renforcer la cohérence éducative entre projet d’école d’une part et projets péri et extra-scolaires d’autre part
- Associer et accompagner les parents, soutenir les familles dans la conciliation de leur vie professionnelle, familiale et sociale
Quant aux thématiques de l’ARE, elles portent autant sur des activités sportives, artistiques, de détente ou de relaxation que sur des thématiques liées à la mémoire au sein desquelles s’inscrit l’archéologie, ou encore à un apprentissage de l’autonomie et du vivre ensemble. Bien d’autres thématiques existent portant sur la santé, l’intergénérationnel, la protection de la planète, etc. La rotation trimestrielle des ateliers permet d’aborder ainsi différents niveaux de réflexion et aux enfants de se construire des parcours personnels différenciés selon leurs centres d’intérêt.
Un rébus pour découvrir l’objet d’étude de l’archéologie. © ArkéoTopia – Gransard-Desmond J.-O., 2010 |
Tous les ateliers ARE n’ont donc pas vocation à être un temps de jachère neuronale pour les enfants. Au sein d’ArkéoTopia, une autre voie pour l’archéologie, nous avons vocation à les sensibiliser à la culture scientifique et technique (par ex. comprendre la différence entre chercheur et artisan ou recherche fondamentale et ingénierie), aux métiers de l’Histoire – ce qui inclut l’archéologie, l’histoire, l’ethnologie, etc. – et aux disciplines elles-mêmes dans leur dimension scientifique, au vivre ensemble et au regard sur des cultures différentes en fonction des thèmes. C’est ainsi que les enfants ont découvert cette année 2013-2014, l’Égypte du temps des pharaons au travers de l’orfèvrerie et la France du temps des Gaulois au travers de la métallurgie.
S’appuyer sur le développement psychologique de l’enfant pour faciliter l’intégration des apprentissages
Comment pouvons-nous y arriver avec des enfants si jeunes et un mélange des âges allant de 6 à 11 ans ? En déroulant un suivi large, en installant le contexte, en faisant progresser la réflexion pas à pas, en utilisant des jeux pour fixer l’attention et en incluant des activités manuelles. Par exemple, la thématique sur les Celtes est enrichie de la fabrication d’une épée et celle sur l’Égypte antique de la fabrication d’un bracelet.
Grâce à une mise en situation, les enfants découvrent la réalité de la discipline archéologique par rapport à la paléontologie et à d’autres disciplines scientifiques. Ils découvrent également la différence entre artisan et scientifique. Ils développent leur esprit critique. Ils apprennent à jouer ensemble et ainsi à se respecter tout en tirant parti de leurs points forts pour une production en équipe. Autrement dit, ils découvrent le monde et apprennent à réfléchir. Ils développent leur sens de l’initiative et surtout comprennent ce qu’ils font là et s’y intéressent.
Le cahier du scientifique pour garder un souvenir et s’amuser chez soi avec ses parents. © ArkéoTopia – Gransard-Desmond J.-O., 2013 |
C’est pourquoi, quand nous lisons : « Si, si, ils sont bien à l’école. Mais sans cahiers ni cartables » (Télérama n°3341, p. 26), nous réagissons. Si cette réalité est celle de Chambray-lès-Tours, lieu du reportage, ce n’est pas la demande d’une majorité des intervenants à la réunion d’information du 7 février dernier. Que ce soit pour les activités artistiques (crayon, règle, gomme, etc.) ou pour des animations comme celles d’ArkéoTopia, les enfants ont besoin a minima de leur trousse mais aussi de leur carnet de liaison afin que nous puissions être en contact avec les parents.
De même, quand Juliette Bénabent souligne que « les élèves distinguent le temps scolaire de celui des ateliers » sur la base qu’on apprend des choses sans trop réfléchir (Télérama n°3341, p. 26), il y a un leurre. Bien entendu, l’enseignement ne se présente pas sous la même forme que celui de l’école académique. Néanmoins, il s’agit tout de même d’un enseignement pour un certain nombre des partenaires dont nous faisons partie avec l’animation scientifique “Sur la piste des êtres humains…” En effet, non seulement les enfants doivent être en mesure d’écouter les consignes, mais nous leur demandons également de réfléchir pour qu’ils puissent comprendre et transformer cette écoute afin de construire leur pensée et arriver à réaliser correctement l’activité manuelle. C’est nécessaire pour que chaque enfant parvienne, par exemple, à fabriquer son épée celte ou son bracelet égyptien.
Une autre façon d’apprendre à lire et à écrire grâce aux animations scientifiques
Vous l’aurez compris, s’il ne s’agit pas d’un temps scolaire au sens classique, nos animations scientifiques comme les interventions de nombreuses autres associations partenaires de la Mairie de Paris n’ont pas vocation à être considérées comme un temps de garderie ainsi que nous l’avons exprimé à la réunion du 7 février. Ce rappel a d’ailleurs été apprécié par les représentants de la ville qu’étaient Mme Hélène Mathieu (directrice des Affaires scolaires) et Mme Régine Hatchondo (directrice des Affaires culturelles).
Le résultat de la production artisanale des enfants et l’apprentissage de la datation stylistique : de l’Âge du Bronze à l’Âge du Fer. © ArkéoTopia – Gransard-Desmond J.-O., 2014 |
De façon générale, notre rôle est de faire découvrir aux enfants qui choisissent de rester après l’école ainsi qu’à ceux qui ne peuvent être pris en charge par leurs parents, aussi bien les joies que les difficultés qui les attendent s’ils décident de s’inscrire dans une association d’archéologie, au conservatoire ou dans un club sportif. Ce n’est pas avec un atelier de 1h30 par semaine sur un trimestre qu’ils pourront devenir de petits archéologues en herbe. Au moins pourront-ils suffisamment évaluer leur intérêt pour la discipline choisie s’ils voulaient aller plus loin. Ils seront déjà armés pour choisir de s’inscrire en connaissance de cause au sein d’ArkéoTopia ou d’une autre association d’archéologie afin de suivre à l’année des activités qui leur permettront d’approfondir ce qu’ils auront approché durant les ateliers ARE.
Dans le cadre de l’ARE, ce qui est abordé et que découvrent vos enfants avec l’atelier “Sur la piste des êtres humains….” c’est une suite logique de compréhension de la vie. Après avoir revu un peu de géographie et de chronologie pour replacer dans l’espace et le temps la civilisation avec laquelle ils vont jouer à l’archéologue, les animatrices scientifiques les amènent à se poser des questions, à apprendre à coordonner leurs mouvements, à apprendre à vivre avec l’autre en confrontant des points de vue différents ou en coordonnant leurs efforts pour obtenir un résultat, à découvrir l’un des outils de l’archéologie : la « chaîne opératoire » et ainsi à mieux comprendre comment notre société d’aujourd’hui utilise des matières premières pour les transformer en des objets de la vie de tous les jours puis les rejeter (lien évident avec le recyclage et le développement durable).
Pendant que l’artisan assemble différentes pièces pour fabriquer une épée… (production) | …l’archéologue l’observe et le chronomètre pour comprendre les étapes de fabrication (chaîne opératoire) |
Bien entendu, nous le faisons en employant des documents en couleur, avec des jeux comme des rébus et des memory ou encore en se lançant des défis. Cependant, les enfants ont également à écrire et à dessiner, à utiliser un chronomètre, à chercher à comprendre ce qu’ils font. À la différence de l’école, nous ne les interrogeons pas sur ce qu’ils ont retenu ou non et nous ne leur donnons pas de notes car ce n’est pas notre objectif. Mais nous cherchons à nous assurer que la compréhension du sujet leur permet d’avancer et d’éveiller leur intérêt afin qu’ils prennent leur place en tant qu’individu actif dans ce processus d’apprentissage.
Pour conclure
S’il est certain qu’une concertation doit avoir lieu entre les différents acteurs pour ne pas proposer des temps d’intervention ou des lieux qui ne seraient pas appropriés, il est indispensable de bien comprendre qu’une animation de loisirs, une animation culturelle et une animation scientifique ont des objectifs parfois différents voire opposés, mais que dans tous les cas, l’implication de l’enfant, donc sa réflexion, ne peut qu’être bénéfique et lui apporter tout le plaisir auquel il a droit en aiguisant sa curiosité et en développant sa pensée.
Pour en savoir plus sur…
- l’Aménagement des Rythmes Éducatifs à Paris, voir la page dédiée à l’ARE sur paris.fr, en particulier le Rapport d’évaluation de l’aménagement des rythmes éducatifs pour l’année 2013-2014, Avril 2016
- les animations scientifiques d’ArkéoTopia sur l’archéologie, visitez la page ArkéoKids
- la réforme des rythmes scolaires, sur le site du Ministère de l’Éducation Nationale.
- l’Aménagement des Rythmes Éducatif via l’entrée Wikipedia Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République
Sauf mention contraire, les photographies sont de © ArkéoTopia, Novembre 2013 (Gransard-Desmond, J.-O.) et Décembre 2013 (Schmidt, Ch.).