Tombouctou en avril 2012, les soldats d’Al-Quaïda au Maghreb menacent de détruire les manuscrits rares de la ville. Un bibliothécaire va organiser un réseau pour les mettre en lieu sûr.
En avril 2012, Abdel Kader Haïdara, collectionneur de livres et bibliothécaire malien, revient à Tombouctou après un voyage d’affaires. L’armée malienne est alors en déroute face aux soldats islamistes d’Al-Quaïda au Maghreb, qui viennent de prendre possession de la ville.
M. Haïdara craint alors que les bibliothèques de Tombouctou soient pillées et les centaines de milliers de manuscrits rares qu’elles contiennent détruits. Ces bibliothèques recèlent en effet des textes religieux et profanes, d’astronomie, de poésie, de mathématiques… Leur discours intellectuel et raisonné en ferait inévitablement la cible de l’intolérance destructrice des djihadistes. Quelques jours plus tard, il rassemble ses collègues de l’association des bibliothèques de Tombouctou pour organiser la dispersion des manuscrits.
La fondation Ford ayant octroyé 12.000 dollars quelques mois auparavant à M. Haïdara pour qu’il étudie l’Anglais à Oxford, le collectionneur demande que ces fonds soient réalloués à la protection des manuscrits. Avec l’aide de son neveu, il organise alors une petite armée, constituée d’archivistes, de secrétaires, de guides touristiques de la ville et de membres de sa famille. Ensemble, ils achètent à raison de 50 à 80 coffres par jour, récupèrent des barils d’essence pour en fabriquer d’autres, puis localisent des maisons sûres dans Tombouctou et en dehors. Dans l’obscurité, ils emballent silencieusement les œuvres pour ensuite les conduire à dos d’âne en lieu sûr. Durant les huit mois que dure l’opération, des centaines d’emballeurs, de conducteurs et de messagers sont mis à contribution. Et lorsque les troupes françaises reprennent le Nord du pays en janvier 2013, les islamistes n’ont pu détruire que 4.000 des 400.000 manuscrits antiques de la ville.
S’ils n’avaient pas agi, Abdel Kader Haïdara est convaincu qu’une grande partie des ouvrages aurait brûlé. Il est particulièrement fier d’avoir sauvé un manuscrit qui raconte la résolution d’un conflit entre les royaumes de Borno et Sokoto, au Nigéria actuel, l’œuvre d’un guerrier et intellectuel soufi qui a brièvement dirigé Tombouctou au milieu du XIXème siècle. M. Haïdara dit de lui qu’il est un djihadiste au sens original du terme: un homme qui se bat contre ses désirs et sa colère pour les soumettre à sa raison et à la volonté de Dieu.
Source : Joshua Hammer, “The Librarian Who Saved Timbuktu’s Cultural Treasures From al Qaeda”, Wall Street Journal, April 15, 2016 (consulté en Février 2018)