Spécialiste malgré moi. Entretien avec Jacques Dassié

ArkéoTopia avait pris contact avec Jacques Dassié lors de sa participation à l’édition 2017 du concours photographique Wiki Loves Monuments. Revenant vers lui à l’occasion de l’édition 2020 pour en savoir plus, notre journaliste Justine Janpaule a eu la chance de bénéficier d’une interview exclusive sur ses débuts en tant que pionnier français de l’archéologie aérienne. Retour sur une passion née accidentellement dont les clichés vont bénéficier à la communauté scientifique tout entière avec une mise à disposition sur Wikimedia Commons d’ici quelques mois.

La naissance de l’archéologie aérienne
en Poitou-Charentes
Entretien avec Jacques Dassié

Jacques Dassié préparant une prospection aérienne à PonsCouverture du manuel d'archéologie aérienne de Jacques Dassié« Cette activité est née tout à fait accidentellement » raconte Jacques Dassié, un spécialiste de l’archéologie aérienne, à l’origine de découvertes de sites archéologiques dont parmi les plus connus : l’amphithéâtre de Saint Georges du Bois et les vestiges d’une ville gallo-romaine à Barzan qui font l’objet de fouilles et recherches importantes en France et ailleurs. Suite à ces découvertes en 1978, Dassié soutient une thèse sur la prospection aérienne à Science Po de Paris. Le travail sur cette approche de dépistage archéologique est publié dans Manuel de l’archéologie aérienne, suivi par une édition qui présente les photographies de la région des Charentes que Jacques Dassié a survolé des milliers des fois. Son œuvre est également disponible en ligne sur son site Internet ainsi que sur d’autres plateformes comme Wikimedia Commons.

Pourriez-vous rappeler votre parcours en archéologie aérienne ?

Jacques Dassié prend l’ombre de son avion en plein centre d’un fossé protohistoriqueEn 1962, jeune pilote et grand amateur de photographie, au cours d’une promenade dominicale en avion avec un ami, nous volions en direction de Royan, sur la côte atlantique. Au passage, j’aperçus dans un champ quelques traces inhabituelles, bizarres. Je sursautai en revoyant ces images plus tard : elles contenaient des formes géométriques, des cercles, absolument pas d’origine naturelle ! Je voulais savoir qu’est-ce que cela pouvait être ? À partir de cela, j’ai multiplié les recherches pour trouver d’autres indices.

Puis, j’ai progressivement mis au point une méthodologie de la photographie aérienne oblique. Je me suis informé auprès des autorités archéologiques qui m’ont aidé et délivré aussitôt une autorisation de prospection aérienne. Je venais en effet, sans le savoir, de découvrir une nécropole protohistorique.

Quand avez-vous commencé à publier vos découvertes ?

Professeur Raymond Chevallier à son séminaire de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de ParisMes prospections, toujours autofinancées, fournirent de plus en plus de résultats. Il devenait urgent de les publier afin d’assurer une diffusion de ces découvertes. C’est ainsi que naquit une certaine notoriété et de nombreuses sollicitations pour des conférences et des expositions. J’étais devenu un spécialiste bien malgré moi !

Au cours d’une exposition internationale à Amiens, en 1972, le professeur Raymond Chevallier m’aborda et me proposa de préparer une thèse sous sa direction. Elle devait porter, bien évidemment, sur l’archéologie aérienne. Flatté, j’ai accepté et c’est ainsi que je me suis embarqué dans un cursus universitaire, conduisant du Diplôme de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, à un DEA à la faculté de Tours, puis à un doctorat en 1978 dans cette même faculté. S’en suivit une bien longue période où les grandes découvertes s’accumulaient.

Quelles sont les tendances dans l’archéologie aérienne aujourd’hui ?

Carte de répartition des découvertes archéologiques en Charente-Maritime de Jacques DassiéIl y a un immense travail à faire depuis que l’imagerie satellite est mise à la disposition du public. Tout le monde, chez soi, peut faire la recherche de grands sites et de voies antiques. Il suffit d’un minimum d’explications, en particulier comment lire les coordonnées d’une image pour enregistrer sa localisation. Google permet de faire cela par exemple.

Dans le domaine de l’archéologie aérienne, un énorme progrès est apporté par le LIDAR. C’est un dispositif de radar laser dont l’une des caractéristiques principales réside dans sa capacité de pénétration dans le sol, dans les feuillages, tous domaines inaccessibles à la simple photographie. Un engin merveilleux dont le principal défaut est son coût. Cela le limite aux utilisateurs étatiques et le place actuellement hors de portée des utilisateurs privés.

Quel est le mode opératoire de votre travail ? Tout d’abord, comment identifiez-vous des endroits à photographier, indispensables pour l’archivage en archéologie ?

Prospection aérienne aux environs de Saint-Georges-du-Bois avec la découverte d'un amphithéâtre gallo-romainIl faut d’abord une préparation du vol, au sol. On souhaite, par exemple, rechercher des camps néolithiques charentais. L’expérience acquise montre que ces sites se trouvent généralement sur un emplacement facile à défendre et à proximité d’un point d’eau. On va donc choisir d’explorer le réseau hydrographique d’une petite rivière. Prenons comme exemple le Né, en Charente. La collection de cartes au 1.50000e couvrant la zone aura été préparée à l’avance.

La préparation de l’avion étant faite, on choisira une heure de décollage avec le soleil déjà un peu haut (mieux vaut éviter les petites vallées dans l’ombre, difficiles à photographier). Et là, le prospecteur se laissera guider par son instinct, sautant d’un éperon à un autre, ignorant la ligne droite et multipliant les clichés (ils sont gratuits, alors que l’heure de vol…). Cela se traduit par des évolutions que le profane pourrait estimer comme incohérentes. Mais elles sont d’une efficacité certaine.

D’importantes découvertes ont été réalisées dans le département de Charente-Maritime, parmi lesquelles l’amphithéâtre de Saint-Georges-du-Bois et une ville gallo-romaine à Barzan. Comment-avez-vous découvert Barzan ?

Portrait de l'ingénieur Claude MasseMarié à une Charentaise, je souhaitais mieux connaître l’histoire de la région natale de mon épouse. Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à la bibliothèque du Génie, à Paris, pour consulter les documents qu’avait laissé Claude Masse (1652-1737), ingénieur et géographe du Roy. Notamment la Carte générale de partie des costes du Bas-Poitou, pays d’Aunis, Saintonge et partie de Médoc, un mémoire fantastique, abondamment illustré par l’auteur.

Concernant ses observations faites depuis le sommet de la colline de La Garde, Claude Masse n’écrivait-il pas : « D’ici, l’on voit fort bien les ruines d’une ville qui fut, dit-on, fameuse ». Tout était dit. Si un ingénieur-géographe du Roy prenait la peine d’écrire cela, nous n’avions aucune raison d’en douter.

Survol des environs de Barzan lors d’une prospection aérienneÀ proximité du moulin du Fâ (Barzan), Jacques Dassié met en évidence la Grande avenue, les horrea ainsi que les traces de la ville gallo-romaine de Novioregum / CC BY Jacques Dassié, Wikimedia CommonsLa conclusion s’imposait : la ville avait existé, mais il fallait en rechercher ses traces ! J’ai entrepris des prospections aériennes sur la zone Barzan-Talmont six à huit fois par an. Pendant treize ans, on ne voyait rien que des cultures bien homogènes dans ces plaines… Puis le miracle s’accomplit. Un certain 26 juin 1975, (année de grande sécheresse, annonçant celle de 1976) toutes les conditions concourantes (météorologie, nature et humidité du sol, nature des cultures, état d’évolution des céréales, moment de la prospection, etc.) se trouvant réunies et favorables, des traces apparurent dans les céréales jaunissantes ! Tout y était ! La « Grande Avenue » qui reliait le Fâ, un grand temple entouré d’un péribole à un autre groupe de temples, au bas de La Garde. De grands alignements de salles identiques trahissaient la présence d’horrea, magasins de stockage et entrepôts d’état, symptômes évidents de l’existence d’un port ! Des ensembles monumentaux entouraient un forum, si caractéristique d’une ville romaine ! Sur plus d’une centaine d’hectares, la ville était là, dont les fondations se découpaient en jaune d’or sur un fond de céréales vertes !

Hélas, il aura fallu attendre vingt années pour qu’enfin une université s’y intéresse. C’est en 1995 que le professeur Pierre Aupert de la faculté de Bordeaux III, intrigué par l’ampleur des tracés et leur charge historique, s’y est intéressé et a commencé des campagnes de fouilles programmées.

Est-ce que les fouilles continuent toujours sur le site de Barzan ?

Fouilles des remparts de la ville portuaire gallo-romaine de NovioregumEn 1993, l’Association pour la Sauvegarde du Site Archéologique de Barzan (ASSA Barzan) fut créée. Cependant, c’est seulement en 1999 qu’un Syndicat Mixte regroupant la commune de Barzan et le Département furt créé à son tour. Avec l’ASSA Barzan, cette nouvelle institution acheva de donner un statut juridique à ce site. Après cela, les fouilles ont continué sans interruption.

Une émulation universitaire s’établit ce qui entraîna les facultés de Poitiers et La Rochelle ainsi que le CNRS à participer aux recherches.

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