L’Aventure, un naufrage qui parle encore
- Mis à jour : mardi 8 juin 2021 09:35
- Publication : dimanche 29 avril 2018 19:30
- Écrit par Christiane Angibous-Esnault
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Si les côtes de la Nouvelle-Calédonie comptent de tout temps un nombre incalculable de naufrages, ce sont des inédits portés à la connaissance d’ArkéoTopia, une autre voie pour l’archéologie par l’un de ses membres qui ont conduit à renflouer l’Aventure sur le plan de la recherche. Ainsi, la première fouille officielle de la corvette en 1975 par le lieutenant de vaisseau Patrick Banuls et les documents qui en sont issus ont conduit ArkéoTopia à s’associer avec Fortunes de Mer Calédoniennes (Nouméa) pour une nouvelle mission de fouille sur l’épave en juillet 2018. Avant la publication des résultats et des rapports de fouille comparés 1975/2018, nous rappelons ici un peu d’histoire : d’une part le parcours d’Eugène du Bouzet capitaine de l’Aventure au moment du naufrage en 1855 et celui de la corvette de la Marine nationale, sur fond de contexte géo-politique de l’époque, et d’autre part l’aventure de la première mission en 1975.
Fig. 1. Portrait de Joseph Fidèle Eugène du Bouzet © C.L.P. 1829. National Librairy of Australia. obj-136044403. |
Un capitaine de valeur
Malgré son court temps de vie, à peine plus d’un an, l’Aventure a marqué l’Histoire puisqu’elle transportait, lors de ce voyage de Brest à Port-de-France (Nouméa) en 1854, le premier Commandant pour la Nouvelle-Calédonie, le capitaine de vaisseau marquis Joseph Fidèle Eugène du Bouzet.
Né à Paris le 19 décembre 1805, du Bouzet entre dans la marine en 1818. Lieutenant de vaisseau en 1831 à 26 ans, il obtient son premier commandement en 1834 à 29 ans. Deux temps forts de sa jeune carrière sont sa participation aux voyages de circumnavigation avec Bougainville (1824-1826) et à l’expédition de Dumont d’Urville au pôle Sud (1837-1840) en second sur la Zélée.
Curieux des sciences, des hommes et du monde en général, il a étudié les langues anciennes et a une grande culture générale. Son comportement, son travail, son goût pour les observations lui valent de nombreux compliments. De caractère discret et modeste, il se montre cependant ferme dans le commandement, qualité appréciée de ses supérieurs qui fait de lui un officier recherché.
Le contre-amiral Legoarant de Tromelin, commandant de la station navale de l’Océanie, dit de lui :
« Aussi modeste qu'habile, M. Du Bouzet, dans les rapports qu’il m’a adressés de ses différentes relâches, cherche toujours à mettre en évidence le mérite de ses officiers sans penser à s’attribuer la plus grande part de la réussite. Doué d'une organisation parfaite, avec une justesse et une promptitude de coup d'œil peu ordinaires, cet officier présente pour son avancement les titres les plus puissants. Il jouit d’une réputation bien méritée de bon marin, et le corps entier de la marine professe pour lui une estime générale dont il est digne sous tous les rapports. »
Anonyme, Sept. 1867, p. 697
Mais ses faits de services sont tout aussi remarquables. En 1842, durant son premier séjour d'un mois à Papeete, il parvient à négocier un accord définitif entre les missionnaires catholiques dirigés par le père Caret et la reine Pomaré. Cinq ans plus tard, capitaine de corvette, commandant de la Brillante, il arrive à Balade et à Pouébo en Nouvelle-Calédonie pour secourir les missionnaires maristes menacés d’être massacrés par les Canaques.
Nommé Gouverneur des établissements français d’Océanie et Commandant de la subdivision navale de l'OCÉANIE (Tahiti, Marquises, Nouvelle-Calédonie) en mars 1854, son histoire et celle de l’Aventure seront alors durablement attachées à celle de la Nouvelle-Calédonie.
L’Aventure quitte Brest le 10 juin 1854 avec le nouveau gouverneur à son bord. Grâce au rapport médical du médecin principal de bord, le Dr. Lucien Pénard (Pénard, 1854-1855) nous connaissons la situation à bord. Conçue pour transporter une moyenne de 240 hommes, il fait état de 415 personnes à son bord, dont 252 pour l’équipage et 163 pour les passagers. La présence des passagers s’explique par le fait que les navires, à l’époque, étaient les transports en commun au long cours. Si l’Aventure amenait à Port-de-France une compagnie d’infanterie de marine et un détachement d’artillerie pour le contrôle de la nouvelle colonie, de nombreuses personnes n’étaient que de simples voyageurs. Il y avait même à bord sur ce voyage, trois femmes et un enfant.
Le Dr. Pénard, indique par ailleurs, en constatant 45 exempts de service durant les 161 jours de traversée Brest-Tahiti, que « En résumé, vu l’encombrement extrême de la corvette et la difficulté d’y entretenir de bonnes conditions hygiéniques durant la longue traversée de Brest à Tahiti, le résultat obtenu en médecine a été magnifique et a dépassé de beaucoup ce que j’avais osé espérer en partant. » Après un mois de relâche à Tahiti, l’Aventure met le cap sur la Nouvelle-Calédonie.
Fig. 2. Vue de la rade de Port-de-France à Nouméa en 1857 Louis Le Breton — Le Monde illustré 2, p. 4 Domaine public via Wikimedia Commons |
La France impériale est alors en guerre contre l’Angleterre dans la course aux colonies. D’un côté le commerce du bois de santal noue des contacts entre Européens et Canaques. De l’autre côté des missionnaires s’installent en Nouvelle-Calédonie. L’insécurité vécue par ces derniers les incitent à faire appel à leurs puissances respectives, le Royaume-Uni pour les protestants et la France de Napoléon III pour les maristes, pour mettre de l’ordre sur le territoire. Enfin, à cette époque, la France cherche un endroit au climat plus clément que le bagne de Cayenne pour installer une colonie pénitentiaire tandis que les colons britanniques d’Australie poussent leur métropole de tutelle à assurer une maîtrise entièrement anglophone du Pacifique insulaire.
Les deux pays n'attendent donc que l'élément déclencheur qui pourra justifier une prise de possession.
Le massacre de Yenghebane (1) fournit un prétexte à Napoléon III. Il donne instruction à plusieurs navires de guerre français de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie, à la condition qu'elle ne fut pas d'ores et déjà annexée par les Anglais. Le premier arrivé fut l'amiral Febvrier Despointes qui prit possession de la Grande Terre à Balade et la proclame colonie française le 24 septembre 1853.
Le 25 juin 1854 les militaires français fondent Port-de-France pour servir de chef-lieu à la colonie, simple garnison qui va devenir rapidement une petite ville.
C’est dans ce contexte que l’Aventure et du Bouzet entrent à Port-de-France le 18 janvier 1855 et que ce dernier proclame les terres propriétés de l’État français le 20 janvier 1855 (Bulletin Officiel de la Nouvelle-Calédonie 1853-1855, Acte n°18, p. 26).
L’Aventure est le domicile du gouverneur, en transit de gouvernance, cette dernière étant ensuite laissée aux mains du commandant Testard. Pendant trois mois il entreprend d’établir un rapport détaillé sur les ressources de l’Île, les possibilités de mise en valeur agricole, les meilleurs lieux d’installation et la construction des premières structures administratives du territoire. Il se consacre à achever les fortifications et les logements de la garnison et des fonctionnaires de Port-de-France. Il met ses compagnons au travail, chacun dans leur domaine de compétence tel que Jean-Jacques Anatole Bouquet de la Grye (27 ans), ingénieur hydrographe et astronome en charge de cartographier les terres et les lagons ou comme le capitaine de Génie Lucien Florent Paul Coffyn a qui l’on doit la structure en damier du futur chef-lieu de la colonie. Il établit également un plan de politique générale et une stratégie des concessions et entretient des rapports avec les indigènes pour équilibrer les forces en présence. Il se penche également sur l’exploitation des ressources minières.
Après son étude de la Grande Terre et confiant les rênes au commandant Testard, M. du Bouzet repart vers Tahiti sur l’Aventure le 16 avril 1855 en compagnie de l’aviso le Duroc.
Interrompu par le naufrage de la corvette relaté ci-après, son voyage de retour a finalement lieu le 27 juillet 1855 où il quitte Port-de-France pour Tahiti et de nouvelles missions.
Pacifique, Algérie, Brésil, le mènent au bout de sa carrière de Contre-Amiral. Il demande sa retraite pour cause de maladie incurable. Il est fait Grand Officier de la Légion d’Honneur. Trois ans plus tard, le 22 septembre 1867, il succombe à la maladie. Il est enterré à Brest.
Fig. 3. L'Aventure d'après une peinture de la sistership Favorite © Christiane Angibous-Esnault, 2018. |
L'Aventure est naufragée
Fiche technique
Catégorie : navire de guerre
Classe de construction “Aventure"
Type : corvette
Coque : bois
Tonnage : 1 193 tonneaux
Dimensions : 43 m x 12 m x 4,92 m
Voilure : 1 490 m2
Armement : 22 canons
Caractéristiques : Plan Sylvestre ; XXIII.
Effectif : 229 à 250 hommes
Lieu de construction: chantier de Brest
Chronologie : sur cale le 2 mai 1849, lancement le 27 novembre 1852, mise en service le 11 mars 1854, rayée le 28 avril 1855 (naufrage)
Ce que les archives relatent
Le 16 avril 1855, lors de son voyage de retour vers Tahiti, du Bouzet souhaite inspecter au passage l’Île des Pins (au large sud-est), Britannia (Maré - îles Loyauté) et Balade (côte nord-est de la Grande Terre). La mer est grosse depuis cinq jours. Si l’Île des Pins est atteinte et que quatre jours y sont consacrés, personne ne débarque trois jours plus tard à Britannia. La violence du vent fait renoncer à y trouver un mouillage. Confiant la mission vers Balade au Duroc, M. du Bouzet décide de faire demi-tour et de rallier directement Tahiti. Nous sommes le 27 avril 1855, il est 7 heures du soir.
La route directe semble impossible à cause des alizés. Le vent soufflant de l’E.S.E., très frais, il est décidé de doubler l’Île des Pins par bâbord-amure en courant un long bord dans le sud, entre S.S.O. et S. La vitesse est de 6 à 6,5 nœuds, sous basses voiles, huniers et perroquets.
Néanmoins, le commandant craignant de ne pas doubler l’Île des Pins dont la position n’est pas encore bien déterminée par rapport à Britannia, décide, pour plus de sûreté, qu’une bordée N.E. sera reprise à deux heures du matin. Il prescrit à l’officier de quart de le faire réveiller à cette heure-là. Il est 8 heures du soir. Il y a un beau clair de lune, le bateau file de 6 à 7 nœuds. À minuit, le temps reste beau malgré quelques nuages levés au sud.
À deux heures du matin, l’officier de quart envoie réveiller le commandant en lui faisant dire que la brise, bien qu’ayant fraîchi sensiblement, reste maniable, que la mer est belle et que la vigie ne signale rien de particulier autour du navire. Un reste de clair de lune permet aux regards de s’étendre assez loin malgré des reflets particuliers sur la mer. Le commandant fait répondre alors de laisser courir encore en se proposant de virer un peu plus tard.
Fig. 4. Rapport médical du Dr. Pénard, 1854-1855 © Rapports médicaux, SHD-Brest Archives - 2F9-32. |
« Fatale inspiration !!... Car, il s’est à peine écoulé vingt minutes, que la Corvette, avec une vitesse de 8 nœuds, au moins, vient faire face à une ligne de brisants. La vigie crie, de la vergue de misaine : ‘‘rochers par babord’’, puis : ‘‘rocher par tribord’’, puis : ‘‘laisser porter’’, et, en laissant porter, l’Aventure achève de grimper sur l’extrémité d’un plateau de Corail »
Pénard, 1854-1855
Le commandant qui avait surgi sur le pont ordonne d’amener et de carguer les voiles ce qui est fait non sans difficultés. L'ordre est donné de couper les mâts, mais la corvette, tournant autour de son avant, vient presque debout au vent. Du Bouzet espère un moment, malgré l‘aspect des brisants, qu’elle allait les franchir. Les secousses se répètent. Le gouvernail se brise d’un coup. La corvette s’incline sur bâbord. Le navire est couché sur le flanc par une brasse de fond dans ses deux tiers arrière et neuf brasses dans son tiers avant, gouvernail emporté.
« Au bout d’un quart d’heure la moitié du navire depuis l’arrière jusqu’aux coupées était échouée, on se prépara à débarquer les canots, je fis jeter les canons de babord à la mer pour redresser le navire et l’alléger ; la corvette abattit un peu sur tribord ; l’eau commença alors à remplir la cale avec une telle rapidité que les soutes devinrent inaccessibles et durent être évacuées par les hommes dévoués qui étaient allé pour sauver du biscuit. On avait heureusement pu monter à l’avance les apparaux des embarcations. »
Bouzet du, Joseph, Fidèle, Eugène (1855)
Le navire se casse un peu en arrière du mâts de misaine, et, dix minutes après, on vient annoncer qu’on remplit, et que déjà, il est impossible de pénétrer dans les logements des Maîtres qui ne peuvent sauver absolument rien de leurs effets. On s’occupe alors (la lune est couchée, et la nuit est obscure) de mettre les embarcations à la mer, manœuvre qui est exécutée avec une adresse et une précision qui font le plus grand honneur au Maître d’Equipage et aux principaux gabiers. [...] Enfin vers six heures, le jour vient, et l’on reconnaît, à la grande joie de tous, qu’on est échoué sur le rescif Nord de l’Ile des Pins, [...] et vis-à-vis de l’anse Houpe couverte de cocotiers chargés de fruits. Alors, commence le débarquement, on expédie à terre d’abord les malades, les mousses et tous les hommes qui seraient à bord d’une utilité secondaire, et qui, à terre s’occuperont immédiatement de préparer un campement. Les gabiers, les chefs de pièce et les premiers servants restent seuls à bord pour opérer le sauvetage du plus grand nombre possible d’objets de valeur ou d’utilité. [...]. Ce n’est que vers 2 heures de l’après midi que la Corvette est évacuée complètement. Et c’est à ce moment là que nous nous retirons nous même, n’ayant eu, fort heureusement, aucune blessure un peu grave à panser. Nos deux aides avaient accompagné les malades.
Pénard, 1854-1855
Le navire est perdu. Le sauvetage s’est exécuté dans le plus grand ordre. Le commandant du Bouzet a quitté son bâtiment en dernier. Il a bien mérité l’hommage de ses hommes qui clâment : « Vive l’Empereur ! Vive le Commandant ! ».
À terre, l’équipage s’installe sous des tentes dressées au milieu des cocotiers par les matelots munis de voiles et de cordages, et les officiers s’installent sous un grand hangar à pirogues mal en point qui sert aussi de cambuse et de magasin général.
Pendant trois jours, c’est la disette n’ayant pu récupérer à bord que 15 kg biscuits et 2 barils d’eau-de-vie. La ration est d’une demi-galette de biscuit et d’un boujaron (2) d’eau de vie par repas, heureusement complétée par les noix de coco sur place et un peu d’eau saumâtre d’une source voisine indiquée par quelques indigènes présents au moment du débarquement puis dès le lendemain d’une excellente source mentionnée à une lieue du campement.
Dès le débarquement, M. du Bouzet a envoyé prévenir la mission et le chef Vendégou. Une pirogue envoyée par les missionnaires de Vao arrive chargée de vivres frais. La faim ne cesse vraiment que le 2 mai à l’arrivée de l’Hydrographe puis le 4 avec celle de la Sarcelle.
Le 10 mai, tout le monde est embarqué pour Port-de-France sur la Sarcelle hormis 40 hommes laissés sur place pour tenter de récupérer ce qui peut l’être encore sur l’épave lorsque la mer le permet et veiller aux objets sauvés. Un mois plus tard, le petit groupe regagne Port-de-France par ses propres moyens.
Enfin, le trois-mât barque anglais la Sultana, sous le commandement du capitaine Tapper, rapatrie tout le monde vers la France le 26 juillet 1855. Le gouverneur du Bouzet quant à lui a repris la mer sur le Duroc dès le lendemain du départ de ses hommes pour enfin rallier Tahiti.
Pour conclure cet événement, il faut mentionner que M. du Bouzet a été jugé à Brest en 1856 pour la perte de son bâtiment. Malgré ce qui pourrait apparaître comme une erreur de jugement et sans doute de par ses nombreux mérites reconnus, il a été acquitté à l’unanimité et son épée lui a été rendue par le Contre-Amiral Aimable Jehenne, président du conseil de guerre, avec ces mots : « Il est dans la vie des marins, des revers qui ne font que grandir aux yeux de ses chefs et de ses camarades, celui qui, comme vous, les a supportés noblement » (Anonyme, Sept. 1867, p. 698).
Une première mission de fouille officielle
Si l’épave de l’Aventure était connue des autochtones et des férus d’Histoire, elle n’avait cependant jamais encore été inventée.
En 1975, le lieutenant de vaisseau Patrick Banuls, commandant du patrouilleur la Dunkerquoise, est missionné sur l’épave de l’Aventure. Lors d’un transfert de commandement, il avait en effet eu connaissance de ce bâtiment par un jeune chef d’État Major qui le lui avait mentionné. Ce dernier avait servi sous le commandement du lieutenant de vaisseau Pouliquen qui s’intéressait aux épaves militaires en Nouvelle-Calédonie et avait déjà découvert la Seine mais n’avait pas eu le temps d’explorer l’Aventure. Lorsque la Dunkerquoise est arrivée à Nouméa, Patrick Banuls a donc sollicité cette mission. Il est ainsi l’inventeur de l’épave de l’Aventure en date du 7 juillet 1975.
Du fait du manque de moyens, la mission n’est pas très aisée. C’est grâce à Paul Kompouaré de la tribu des Ouapa qui lui montre l’endroit du naufrage signalé par la tradition orale qu’elle se positionne sur le site. (Banuls, 1975). La mission ne dispose que de quatre jours pour réaliser la prospection et la fouille.
La zone est quadrillée par des plongeurs en profondeur et d’autres en apnée aux abords du récif. S’étant trop approchés des brisants, c’est en leur portant secours qu’un zodiac est retourné par les rouleaux, précipitant à la mer deux bouteilles de plongée. Et c’est en récupérant le matériel par 3 m de fond que l’équipe découvre les premiers indices de l’Aventure, une pièce formant pont, recouverte de corail, qui s’est révélée être en fonte. La zone révèle alors d’autres pièces.
Tout ce qui avait pu être récupéré par l’équipage de du Bouzet l’avait été. Aussi l’épave ne présente plus beaucoup de matériel d’autant que le temps et la mer en ont disloqué les restes et que les fortes concrétions de corail ont fait leur œuvre. De même, plus de cent ans après le naufrage, la mission de la Dunkerquoise n’était pas la première à prospecter le site, cette zone étant parcourue par de nombreux plongeurs. Néanmoins, quelques pièces lourdes affleurent que l’équipe tente de désenclaver et de remonter.
Le site fait ainsi ainsi apparaître 1 fémelot, 6 grosses ancres, 3 canons et divers matériels non identifiés.
Fig. 9. L’ancre à son arrivée au musée avant restauration (a) et en exposition après restauration (b) © Musée maritine de Nouvelle-Calédonie Inv. MTNC 85 1 22 |
Le plus gros du travail se porte sur une ancre de 4 mètres. Le commandant part à la recherche de fûts vides de 200 litres pouvant servir de parachute pour aider à la remontée. Les bidons sont livrés sur site par un hélicoptère de la gendarmerie.
L’ancre décolle portée par 23 fûts. Mais le poids, la houle, la résistance des bidons cisaille et rompt les cordages de remorquage. Si depuis 1855 les courants avaient étalés dans la passe les restes du navire entre 10 m et 20 m, cette fois le tombant accueille l’ancre par 60 m de fond !
Le lendemain, en remplaçant les bouts par une élingue en acier, une 2ème ancre est remontée avec succès et treuillée sur l’arrière de la Dunkerquoise.
Entretemps divers objets sont répertoriés et certains remontés, dont un pierrier (petit canon) que le capitaine de vaisseau Claude Verdier, commandant de la Marine Nationale en Nouvelle-Calédonie, autorise à conserver dans le carré des officiers de la Dunkerquoise.
Ce dernier et le commandant Patrick Banuls qui avait effectué la mission remettent les autres éléments à Luc Chevalier (3) au cours d’une cérémonie.
C’est ainsi qu’une ancre à jas, un fémelot et un corps de pompe ont intégré les collections du musée, tandis que le pierrier restait en possession de la Marine Nationale.
Depuis son invention, l’épave a été officiellement visitée en 2002 et 2016 par Fortunes de Mer Calédoniennes qui a pu récolter de nouveaux artefacts. Le rapport est en attente de publication. La prochaine mission de juillet 2018 permettra ainsi de compléter les recherches (artefacts, structures du navire, armement, etc.) et de mettre l’ensemble des données en confrontation.
La recherche en cours
Quarante ans après la première mission officielle, ArkéoTopia entreprend de finaliser les recherches concernant l’Aventure à partir des documents inédits fournis par Patrick Banuls. Ce travail commence en 2014 avec une recension de littérature, la localisation des vestiges remontés et des échanges avec les participants à la mission officielle de 1975.
La Dunkerquoise ayant fini son temps de service en janvier 1987 et le bateau ayant été sabordé, la question de la localisation du pierrier conservé à son bord se pose. A-t-il été remisé quelque part ou a-t-il disparu ?
Après plusieurs mois d’enquête, il est retrouvé sur la Base Navale de Chaleix à Nouméa. Une fois sa provenance confirmée et les autorisations obtenues auprès de l’État-Major, ArkéoTopia demande à son partenaire local Fortunes de Mer Calédoniennes d'effectuer les prises de vue utiles (fig. 10 et 11). Bien nettoyé et posé sur un affût spécialement conçu pour lui, il se trouve maintenant dans la salle de projection polyvalente, identifié par une plaque commémorative.
Au cours des recherches, j'ai été interpellée par un artefact détenu par Patrick Banuls. L’étude de l’objet, du rapport de fouilles, de documents inédits et du plan de fouilles en sa possession ont permis de recouper les informations avec des photographies sous-marines prises par J.-P. Mugnier de Fortunes de Mer Calédoniennes lors d’une de ses plongées. La mission de juillet 2018 (cf. infra) devrait permettre de confirmer l'hypothèse actuelle de la fonction de cet artefact.
Par ailleurs, divers documents d'archives sont encore en cours d’étude.
Différentes hypothèses et des points non encore éclaircis ayant ouvert de nouvelles perspectives, une demande de prospection subaquatique et terrestre a été déposée auprès de la Province Sud et des coutumiers de l'Île des Pins pour juillet 2018. Cette demande effectuée par Fortunes de Mer Calédoniennes en partenariat avec ArkéoTopia vise à obtenir des compléments d’informations et de nouveaux éléments. La mission doit notamment permettre plusieurs recoupements :
1. le plan de fouilles de 1975 avec la localisation actuelle du site et des objets,
2. le lieu du campement des quarantes hommes d'équipage devant récupérer les éléments de l'épave à partir des archives avec ce qui pourra être identifié sur place.
Ainsi la mission pourra compléter l’identification et l’inventaire des artefacts que l’Aventure voudra bien encore livrer. Les vestiges remontés seront pris en charge par le Musée maritime de Nouvelle-Calédonie. Cette recherche permettra de contribuer à préciser la carte des naufrages et à mieux connaître la vie des marins de l'époque.
- Anonyme (Sept. 1867) 1 et 2 : « Nécrologie », Revue Maritime et Coloniale 21, p. 695-700.
- Banuls Patrick (1975) : Compte-rendus et rapport de mission de 1975, archives personnelles en cours d’étude par ArkéoTopia.
- Bouzet du, Joseph, Fidèle, Eugène (1855) : Rapport adressé à l’Établissement français de l’Océanie, Ministère de la Marine, Archives 67.
- Brou Bernard (1974) : « Trois notes biographiques », Bulletin de la Société d’Études Historiques 18, p. 45-48.
- Leblic Isabelle (2003) : « Chronologie de la Nouvelle-Calédonie », Le Journal de la Société des Océanistes 117, p. 299-312.
- Macé C. (3 mai 1856) : « Nouvelle-Calédonie, Île des Pins. Naufrage de la corvette l’Aventure », L’Illustration 688/27, p. 279-282.
- Pénard Lucien (10 juin 1854 - 23 Xbre 1855) 1 / 2 / 3 : Rapport médical, Rapports médicaux, SHD-Brest - Archives - 2F9-32.
- Pisier Georges (1974) : « Notes d’histoire calédonienne. Le naufrage de l’Aventure à l’Île des Pins », Bulletin de la Société d’Études Historiques 18, p. 10-16.
- Roche Jean-Michel (2005) : Dictionnaire des bâtiments de la Flotte de guerre française, de Colbert à nos jours. Tome 1 (1671-1870), auto-édition.
1. La corvette L'Alcmène fut envoyée en mission exploratoire par le gouvernement français en 1850. L'objectif était d'étudier la possibilité d'une colonisation et de l'installation d'un bagne. La mission se termina tragiquement dans le nord de la Grande Terre, à Yenghebane. Plusieurs officiers et hommes d'équipage furent massacrés et consommés.
2. Dans la marine, le boujaron est un récipient, le plus souvent de fer-blanc, qui sert dans la cambuse à distribuer des rations de divers liquides à un équipage et qui contient un peu moins d’un seizième de litre. Par extension, ration journalière d’alcool que percevaient les marins en service dans les colonies, ou les pêcheurs dans certains pays.
3. Luc Chevalier est alors conservateur du Musée de Nouméa qui deviendra le Musée maritime de Nouvelle-Calédonie le 4 octobre 1999 à l'initiative de deux associations d'archéologie sous-marine : Fortunes de Mer Calédonienne et Salomon.
Retrouvez des anecdotes sur l'aventure de la Mission Aventure dans les actualités de la campagne de crowdfunding Dartagnans Mission Aventure.
Remerciements pour leur aide et collaboration
Patrick Banuls (inventeur de l’Aventure, ArkéoTopia), Base navale de Chaleix à Nouméa, Alain Braut (Service historique des armées à Vincennes), Luc Faucompré (photographe Fortunes de Mer Calédoniennes), Jean-Olivier Gransard-Desmond (Dr. en archéologie, ArkéoTopia), Philippe Houdret (président de Fortunes de Mer Calédoniennes), Valérie Vattier (directrice du Musée maritime de Nouvelle-Calédonie).